Pour RUE89 du 8 juin 2009, Dominique Albertini, étudiant en journalisme
Dans son dernier rapport, rendu public le 17 mai, la Miviludes souligne l'augmentation du nombre de mouvements sectaires. Elle pointe notamment les techniques dites de « developpement personnel » (psychanalyse, coaching…).
Mais pour Olivier Bobineau, ancien membre de la mission, son approche est inadaptée.
Conséquence pour ce spécialiste des religions : la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires surestime le phénomène sectaire en France. Entretien.
La Miviludes estime que les sectes se multiplient et prône une politique plus répressive. Comment jugez-vous son action ?
Elle entend mener une politique publique moderne, mais elle est pourtant la seule à ne pas en respecter les trois critères fondamentaux :
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Une définition de l'objet de son travail : la Miviludes amalgame secte, phénomène sectaire et dérive sectaire, sans en donner aucune définition. Ces termes sont des coquilles vides appliqués à tout et n'importe quoi, ce qui a pour effet majeur de faire passer le nombre de sectes en France de 200 à 607. Une multiplication par trois qui tient au fait que la Miviludes a jeté son dévolu sur la psychanalyse.
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L'exposition d'une méthodologie, c'est-à-dire l'existence d'un débat public, le croisement des sources, une véritable réflexion sur le sujet… mais la seule logique de la Miviludes est la recherche de boucs émissaires, elle-même fondée sur une autre logique, celle de l'inquisition. Le discours de la Miviludes, c'est « on n'a aucune preuve, c'est donc qu'ils les dissimulent, c'est donc qu'ils sont bien une menace ».
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Une véritable évaluation de son action : il n'y a aucun outil pour cela, ni de discussion autour des conclusions de la Miviludes : lorsque l'OSCE et l'ONU se risquent à critiquer son travail, elle répond que ces deux institutions sont infiltrées par les sectes.
Mais les dérives sectaires dénoncées par la Miviludes n'en sont pas moins associées à des délits, tels que l'extorsion de fonds ou la manipulation…
Bien sûr. Mais il faut se poser deux questions : d'abord, a-t-on besoin d'un organisme spécifique pour faire appliquer le droit civil et pénal, qui existe déjà pour punir de tels délits ? D'autant que le phénomène sectaire est loin d'être le problème majeur de la société française.
La deuxième question, c'est de savoir comment prendre en compte les plaintes des victimes d'escroquerie : cela doit-il forcément passer par une désignation de ce qui est bien et de ce qui est mal sur le plan spirituel ?
Il faut une véritable administration de la preuve, un vrai service public d'information avec des conseillers scientifiques menant de véritables enquêtes.
Que pensez-vous de la mise en place d'un référentiel visant justement à définir ce qu'est un mouvement sectaire ?
C'est une véritable mise à l'index, un document qui prétend désigner le bien et le mal, ce qui est difficilement admissible de la part d'une politique publique. Une véritable définition devrait viser l'essence même de ce qu'est une secte.
Le référentiel proposé ne mentionnera que certaines caractéristiques générales qu'on retrouve dans d'autres activités sociales : on perd donc dans la compréhension du phénomène ce qu'on gagne en expansion.
Et la stigmatisation de certains groupes peut aboutir à des débordements : aprés la publication par le Parlement, en 1995, d'une liste des sectes, des salles de prière des Témoins de Jéhovah avaient été brûlées, et certains de leurs membres battus.
Le rapport consacre un long passage au satanisme. L'importance de ce phénomène est-elle bien évaluée selon vous ?
La Miviludes n'avance aucun chiffre, fait état d'une progression du satanisme en Europe sans citer de sources. Il ne doit pas y avoir plus d'une centaine de satanistes en France.
La convocation d'un imaginaire relié à cette croyance ne fait pas forcément de vous un sataniste. Si tous les auditeurs de black metal sont satanistes, pourquoi ne pas dire que tous les amateurs de Bach sont luthériens ?
Il y a donc, selon vous, une stigmatisation de certains groupes ou mouvements ?
Oui, qui s'inscrit dans la tradition française d'une suspicion du spirituel, de l'opposition entre la liberté de pensée, politique et philosophique, et de la liberté de conscience, spirituelle.
Cette dernière est suspecte parce qu'elle a généré des passions religieuses dont la France ne s'est toujours pas bien remises : affrontements extrêmement violents entre catholiques et protestants, opposition entre l'Eglise et l'Etat républicain à la fin du XIXe siècle et au début du XXe…
Depuis, la liberté de conscience est suspecte, jugée irrationnelle. Au nom de la liberté de pensée, on veut la contrôler. La Miviludes joue le rôle d'une police administrative des esprits, qui recherche des boucs émissaires et stigmatise des groupuscules.
Vous présentez aussi cette attitude comme le résultat d'une tension interne à la Miviludes…
En effet, il existe plusieurs pôles au sein de la Miviludes, et notamment un pôle conservateur catholique, qui désigne le mal selon ses propres critères, et un pôle de gauche athée pour qui le mal, c'est la liberté de conscience.
Ces deux « camps » ne s'accordent que dans la désignation d'ennemis communs, les mouvements présentés comme sectaires.
Ils s'entendent aussi pour défendre leurs intérêts : on trouve parmi les athées de la Miviludes des francs-maçons, qui cherchent à éviter d'être catalogués comme sectaires.
Quant aux catholiques, ils ont peur que certains mouvements au sein de l'Eglise ne soient stigmatisés, comme ce fut récemment le cas avec la communauté des Béatitudes. Ce qui semble indiquer un rapport de force désormais plus favorable au pôle « libre-penseur ».
Photo : Démolition de la statue de Gilbert Bourdin édifiée par la secte du Mandarom à Castellane (Reuters)
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