lundi 22 juin 2009

"La burqa est un accoutrement sectaire"

Hebdomadaire l'Express, par Emilie Cailleau, publié le 22/06/2009

Et si le débat actuel sur le port de la burqa n'avait rien à voir avec la religion? Pour Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux et chercheuse associée au cabinet d'études "Cultes et Cultures Consulting", il n'est pas question de croyance mais d'endoctrinement.

Est-il légitime de créer une commission d'enquête sur le port de la burqa en France?

Oui. Faire semblant de ne rien voir serait pire que tout. Cela reviendrait à accepter le comportement de groupes sectaires comme des comportements religieux. Or si on respecte l'Islam, on ne peut qu'être choqué par ce groupe salafiste qui prône le port du niqab. Je dis bien le niqab et non la burqa, car en réalité c'est le niqab que l'on voit en France et qui pose problème. Le niqab est un accoutrement sectaire qui s'inscrit dans un discours d'autoexclusion et d'exclusion des autres. Un discours brandi par un groupuscule salafiste depuis 70 ans. En France, où la liberté de conscience est garantie, ces "gourous" s'immiscent partout. Ils persuadent leurs adeptes, comme ceux d'une secte. Ils prônent le port du niqab alors qu'il n'est pas inscrit dans le Coran. On ne peut accepter ça, au risque de reconnaitre les salafistes comme intimement liés à l'Islam, ce qu'ils ne sont pas, et du coup leur donner encore plus de pouvoir.

La question de la religion n'aurait pas de lien avec la possible interdiction du port du niqab...

Le débat religieux n'a pas sa place. On a tort de faire le raccourci avec la question du voile. Celle-ci est un débat théologique depuis la naissance de l'islam. La réflexion actuelle doit porter sur la question de l'endoctrinement et du droit commun. Le droit français garantit la liberté de manifester ses croyances à deux conditions: ne pas troubler l'ordre public et ne pas entraver les libertés fondamentales. Or le niqab enfreint ces deux critères. D'un côté il pose un problème d'ordre sécuritaire parce qu'on ne voit pas le visage de la personne. Dans ce sens, je suis pour qu'on fasse une loi comme en Belgique où on doit pouvoir voir le visage de tous les citoyens quand ce n'est pas carnaval...... De l'autre, le port du niqab pose problème pour la liberté d'autrui. Les femmes qui portent le niqab sont "désindividualisées". Le discours coupe la personne de tout ce qui la socialisait (parents, école, travail, autres musulmans...). Il lui fait miroiter la jouissance d'appartenir à une communauté purifiée, qui détient la vérité, supérieure au reste du monde. Les gourous tentent de créer l'unité totale entre adeptes: ils exagèrent les ressemblances en effaçant toutes différences -sexuelles, sociales, familiales, etc.- à l'intérieur du groupe. Ils exacerbent les différences avec tous ceux qui ne sont pas comme eux... Toutes les idéologies de rupture reposent sur des exaltations de groupe.

Il n'existe pas de statistiques pour mesurer le phénomène du port du niqab. Pensez-vous qu'il prend de l'ampleur?

Oui, je suis saisie par des imams qui voient des personnes répandre ces discours sectaires dans les mosquées. Ils font autorité auprès de plus en plus de jeunes vulnérables pas forcément issus de familles musulmanes... J'observe que ces jeunes-là n'ont pas de lien à un territoire -ils se sentent "de nulle part"-, ont souvent grandi dans "les trous de mémoire" et ne connaissent pas la religion... Ils ont souvent eu des pères déchus, ne pouvant exercer leur autorité, pour des multiples raisons... Certains de ces adeptes ne sont pas dans la spiritualité: ils se fichent pas mal de Dieu. Ce qu'ils veulent, c'est prendre la place de Dieu... Ils sont, consciemment ou non, à la recherche de la toute puissance... Auprès de ces personnes, c'est aussi un travail de prévention qui s'impose.

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"Pas la bienvenue" en France

Pour Nicolas Sarkozy, "le Parlement a choisi de se saisir de cette question, c'est la meilleure façon de procéder. "Il faut qu'il y ait un débat et que tous les points de vue s'expriment. (...) Nous ne devons pas avoir peur de nos valeurs, nous ne devons pas avoir peur de les défendre". Devant le Congrès réuni à Versailles, le chef de l'Etat a balayé l'argument religieux. Le voile intégral est un problème "de liberté et de dignité de la femme.(...) Ce n'est pas un signe religieux, c'est un signe d'asservissement, c'est un signe d'abaissement", a-t-il ajouté.

Crédit photo REUTERS/Ahmad Masood ---->Pour Dounia Bouzar, le port du voile intégral est un comportement sectaire.

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