mardi 14 avril 2009

Intégrisme: Huit enfants mal nourris et battus

Photo DR la Semaine, le Procureur de la République lors de la conférence de presse a expliqué qu'il s'agissait d'un "schéma sectaire"...
Hebdomadaire, la Semaine du Roussillon, le 14 avril 2009.

Un couple de Banyulencs vient d’être mis en examen et placé en détention provisoire.

Le week-end dernier, les gendarmes ont découvert les conditions de vie particulièrement difficiles de leurs huit enfants. Dénuement total, malnutrition, châtiments corporels,...

Les parents auraient voulu les « purifier ».

32 kg pour 1,65 mètre. L'adolescent de 16 ans qui a fugué après avoir été battu par sa mère pour avoir volé du sucre en poudre, vendredi dernier à Banyuls, était clairement mal-alimenté. Tout comme ses sept frères et sœurs vivant sous le toit familial. Les gendarmes ont retrouvé l’adolescent pieds-nus, grelottant, le visage recouvert de sang. C'est suite à cette fugue que les forces de l'ordre ont découvert les autres enfants, âgés de 7 à 17 ans. Le procureur de la République Jean-Pierre Dréno décrit un cadre quotidien très particulier. Selon les premiers éléments de l'enquête, les enfants auraient subi des châtiments corporels. Un domicile « sans mobilier, des lits se résumant à de simples couvertures, très peu de vêtements, pas de jouets ». Et un frigidaire vide. Ce que le père aurait expliqué par sa volonté récente de faire manger bio à ses enfants... L'approvisionnement était selon lui prévu. D’après les témoignages, lorsqu’ils ne suivaient pas les règles de la maison à la lettre, les enfants étaient frappés dans la salle de bains avec un bâton. Les trois plus jeunes enfants étaient scolarisés en primaire à Banyuls, et deux des filles suivaient des cours par correspondance.

Schéma sectaire

Le père est décrit pour le personnage-clef de la famille, qui détient le savoir. « Sa démarche est très particulière, explique le procureur. Son discours, c'est que l'enfant est fondamentalement mauvais, et qu'il faut en extirper le mal. Cette démarche de purification passe par un isolement du monde extérieur. Les enfants n'avaient par exemple pas le droit de rester à la fenêtre ». Les parents étaient musulmans, mais pour le procureur ils n’avaient pas grand-chose à voir, à priori, avec des ultras religieux « classiques ». « Indépendamment de sa religion, je pense que le père se comporte un peu comme l’animateur d’un groupe qui a des pratiques qui s’apparentent à celles des sectes. Le mode de vie, les pratiques, les habitudes, sont tout à fait similaires » explique-t-il. Les enquêteurs doivent maintenant entendre les instituteurs, le voisinage, mais aussi le premier des neuf enfants du couple, âgé d’une vingtaine d’années et vivant loin de sa famille.

Les parents risquent sept ans d’emprisonnement, voire plus en cas de graves conséquences (une infirmité par exemple). A l’heure de notre bouclage mardi, le garçon qui a fugué était hospitalisé, de même que deux des fillettes, dont l’indice de masse corporelle est très préoccupant. Les autres enfants ont été placés en foyer d’accueil. Ils vont devoir apprendre à se reconstruire, dans un monde inconnu de jouets, de télévision et de nourritures abondantes et variées.

[F.L.]

vendredi 3 avril 2009

Les dérives sectaires : analyse du dispositif juridique

Le décret qui a institué la Mission Interministérielle de Vigilance et de LUtte contre les DErives Sectaires (MIVILUDES) fait obligation à son Président de présenter chaque année un rapport au Premier ministre. Depuis la création de la Mission en décembre 2002, un cinquième rapport a été remis au Premier ministre en décembre dernier. Un des points forts des travaux synthétisés dans ces pages consiste en un rappel indispensable des règles juridiques en vigueur, tant pour ce qui concerne le cadrage de l’action des acteurs publics qui ne peut s’effectuer que dans le respect des principes constitutionnels et des lois, mais surtout en pleine transparence, qu’en ce qui touche à l’attente des citoyens face au service public de la justice, en charge de la défense des droits et libertés de chacun.

Depuis bientôt 25 ans, l’État français a fortement affirmé sa volonté de protéger les victimes des comportements dérivants des mouvements sectaires.
Cette réponse de l’État s’est construite peu à peu à la suite des rapports parlementaires et de l’évolution de la forme des organismes de lutte mis en place par les Premiers ministres successifs.
Depuis le 28 novembre 2002, la Mission Interministérielle de Vigilance et de Lutte contre les Dérives Sectaires, comme son intitulé l’indique, exerce à la fois une mission de vigilance, c’est-à-dire de prévention et de détection du risque sectaire, et une mission de lutte contre les dérives avérées.
Il n’y a pas en droit français de définition juridique de la secte, pas plus qu’il n’y a de définition de la religion. Cela résulte, pour partie, de ce que la France, en vertu du principe de laïcité, s’interdit de définir, de limiter le fait religieux et spirituel, évitant ainsi le risque de porter atteinte au principe absolu de la liberté de conscience.

L’Etat : acteur de la lutte contre les dérives sectaires

En France, plusieurs associations œuvrent en faveur des victimes et de leurs familles, mais les responsables politiques, législatifs et exécutifs confondus, ont estimé que l’État ne pouvait se soustraire à ses responsabilités et à ses devoirs en ce domaine.
C’est pourquoi, l’action des services de l’État pour lutter contre ces dérives sectaires multiformes est mise en place à plusieurs niveaux :

- L’action du responsable administratif consiste à mettre en œuvre les mesures de surveillance et de prévention adéquate.

- L’action de l’acteur social permet de déceler les dangers et de venir en aide aux victimes.

- La MIVILUDES, quant à elle, coordonne l’ensemble des moyens d’action des services de l’État aux plans départemental, régional et ministériel, informe le public et les fonctionnaires, analyse l’évolution du phénomène pour le compte du Premier ministre.

- Enfin, l’action du juge, gardien des libertés, va dans le sens de la protection contre toute sujétion physique ou psychologique et elle s’inscrit dans le sens du respect de la loi, auquel nul gouvernement, nul citoyen ne doit se soustraire.

Pas de loi “anti-secte” dans la législation française...

Il n’y a pas en France de législation “anti-secte”, mais des textes de droit pouvant s’appliquer aux dérives sectaires.
Compte tenu de leur mode d’organisation ou de financement, de l’activité économique qu’ils mettent en place ou du mode de vie qu’ils revendiquent, certains mouvements à caractère sectaire développent des formes particulières de délinquance.
Il est absolument essentiel de se référer à la doctrine du mouvement, car elle contient de manière quasi systématique l’idéologie qui préconise ou aboutit à la violation de la loi.
Les infractions les plus fréquemment relevées, sans que cette énumération soit exhaustive, car l’imagination des gourous est sans limites, sont les suivantes :
• Les groupements à prétentions thérapeutiques ou guérisseuses s’exposent à commettre des infractions au code de la santé publique, notamment au titre de l’exercice illégal de la médecine ou de la pharmacie, et dans les cas les plus graves, cela peut aller jusqu’à l’homicide involontaire.
• Les atteintes aux biens, les faits d’escroquerie ou d’abus de confiance, les tromperies sur les qualités substantielles ou les publicités mensongères sont régulièrement signalés dans certains mouvements proposant des prestations de développement personnel ou d’amélioration sensible et rapide des potentialités de leurs clients ou de leurs membres.
• Les atteintes aux personnes, les violences physiques, les abus sexuels, la non-assistance à personne en péril et les privations de soins ou d’aliments au préjudice de mineurs, sont constatés, le plus souvent, au sein de communautés repliées sur elles-mêmes et résolument coupées du monde extérieur.

... ni dans la législation européenne

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a un grand souci de protéger la liberté de conscience et de religion, et le pluralisme religieux qui en est la conséquence. Elle prend donc soin de ne pas différencier les “sectes” des “religions” dites traditionnelles.
Toutefois, elle n’a jamais eu à statuer sur des griefs de personnes se prétendant victimes d’agissements de sectes. Les requêtes jugées émanaient d’adeptes actifs de mouvements qui revendiquent la liberté de conscience et de religion. Il est possible qu’à l’avenir, les victimes des mouvements sectaires la saisissent à leur tour et que l’exploitation faite des décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) par les organisations sectaires ne soit plus aussi facile pour elles.
La CEDH, depuis quelques années, a rendu plusieurs arrêts dans cette matière. Selon Jean-Paul Costa, Président de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, « autant il faudra que la Cour continue de protéger efficacement la liberté de conscience et le pluralisme religieux, autant il lui faudra certainement se pencher sur les abus commis au nom de la religion (au sens le plus noble du terme), ou de pseudo religions qui ne revêtent le manteau religieux que pour déployer plus tranquillement des activités nocives, voire abominables. De même que la liberté d’association ne doit pas servir à protéger les associations de malfaiteurs, de même la liberté religieuse ne doit pas assurer l’impunité aux coupables d’agissements délictueux ou criminels menés au nom de cette liberté ».

Sophie Périabe
(Avec le rapport de la MIVILUDES, décembre 2007)


Le droit de la famille

L’appartenance à un mouvement sectaire ne saurait à elle seule constituer une cause de divorce (Cour d’Appel de Dijon, 2 septembre 1997).
C’est seulement quand le comportement d’un époux perturbe gravement la vie du couple que le juge aux Affaires familiales peut estimer que celui-ci constitue une faute rendant intolérable le maintien de la vie commune, et prononcer le divorce sur ce fondement (Cour d’Appel de Nancy, 2 février 1996 ; Cour d’Appel de Montpellier, 7 novembre 1994).
En cas de séparation, lorsque les pratiques d’un parent présentent un risque sérieux de perturbation physique ou psychologique des enfants, le juge aux Affaires familiales peut décider de fixer la résidence habituelle chez l’autre parent et/ou de restreindre l’exercice du droit de visite et d’hébergement (Cour de Cassation, 2e civ. 1 juillet 2000 ; Cour d’Appel d’Aix-en-Provence 2004).
La Cour d’Appel de Grenoble a réaffirmé le principe de la liberté religieuse d’un père et de sa fille sous réserve d’une ouverture et d’une participation à la vie sociale.

L’enfance en danger

Le juge des enfants est saisi lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur sont en danger ou que les conditions de son éducation, de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises.
Au-delà des privations de soins et d’aliments ou des violences physiques ou sexuelles rencontrées dans certains groupes, le choix par des parents d’un mode de vie pour leurs enfants dans un “monde clos” où ils ne sont ni correctement scolarisés, ni sérieusement instruits est aussi de nature à justifier un signalement au Procureur de la République sur le fondement des articles 75 et suivants du Code civil, et l’engagement de poursuites par ce dernier.
Le rapport d’enquête parlementaire “L’enfance volée” clôturant la Commission parlementaire de 2006 a fait 50 propositions pour protéger les enfants, cibles particulièrement vulnérables des dérives sectaires.

La sphère du travail

Les parlementaires, dans leur rapport de 1999 intitulé “Les sectes et l’argent”, ont rappelé que l’enrichissement étant un des principaux objectifs des mouvements sectaires (avec le pouvoir), ces derniers se sont efforcés d’infiltrer les entreprises car ils peuvent en attendre trois avantages :

- attirer les fonds, au premier rang desquels ceux de la formation professionnelle, dont le financement est très important et encore insuffisamment contrôlé,

- retirer une certaine notoriété,

- développer leur prosélytisme,

- utiliser leur infiltration comme support de pénétration d’autres structures.
La forte soumission et la dépendance au responsable ou au gourou peuvent conduire des membres du mouvement à travailler dans des conditions sanctionnées par la loi au titre du travail dissimulé.
Il a été jugé également que des salariés pouvaient légitimement refuser de participer à une action de formation décidée par leur employeur quand les méthodes utilisées au cours de cette formation se rapprochaient de celles d’un organisme signalé comme étant de caractère sectaire (Cour d’Appel de Versailles, 22 mars 2001).

Pour le quotidien Témoignages de la Réunion, Sophie Periabe