dimanche 2 octobre 2005

Intellectuels et notables cautions des groupes sectaires

On peut comprendre que des groupes puissants et organisés aient une « politique de communication », et fassent du lobbying, et que des avocats, rémunérés, tiennent un discours de soutien systématique. Il est plus surprenant que des personnalités n’ayant pas, a priori, partie liée avec l’un ou l’autre de ces groupes, apportent leur caution à certains, ou plus largement à « la cause sectaire ». Ces soutiens de renom, implicites ou déclarés, appartiennent à des mi-lieux très diversifiés : stars, intellectuels, politiques, écrivains, responsables religieux, journalistes ou universitaires. Sauf à conclure à une complicité généralisée fort improbable, il faut s’interroger sur les motivations, claires ou obscures, qui les amènent à soutenir des groupes dont nous connaissons la dangerosité.

Quelques exemples

  • Une vedette internationale de la chanson et une star du cinéma proclament à toute occasion leur appartenance à des groupes connus et dénoncés pour leurs dérives.
  • Un écrivain, objet de controverses, fait l’apologie d’une secte ufologique.
  • Un journaliste consacre une page entière d’un grand quotidien à la défense et à l’apologie d’un thérapeute accusé par des familles de pratiques d’emprise.
  • Certaines organisations réputées de psychanalystes s’allient sans réserves à des praticiens autoproclamés, pour s’opposer aux contrôles nécessaires dans ce secteur.
  • Un sociologue universitaire connu exalte un communautarisme violent, au mépris des victimes possibles, après avoir fait la part belle à une thèse d’astrologie qu’il a dirigée à la Sorbonne.
  • Certains responsables religieux manifestent une cécité obstinée face à la dangerosité du phénomène sectaire. Il en est de même pour certains sociologues de la religion, qui valident « la quête religieuse » en niant l’emprise et ses dégâts.
  • Venus de Belgique ou d’Italie, certains universitaires engagent une guerre tous azimuts contre les associations de défense et les organismes de prévention.
  • Un leader politique national reçoit personnellement une star connue pour son appartenance et son prosélytisme. Un autre, maire d’une très grande ville, cautionne de sa présence une manifestation promotionnelle du sectarisme.

Même si certaines attitudes ont en commun des effets promotionnels pour les groupes d’emprise, ou leur construisent une réputation d’innocuité, ce sont des mécanismes très différents qui interviennent. Avant d’aborder la question difficile des motivations de ces pro-sectaires, il convient de faire un inventaire des thèmes développés, des vecteurs utilisés et des différents impacts de ces comportements.

Thèmes, modalités d’expression, impact

Les thèmes peuvent être développés de façon verbale, écrite, ou encore comportementale (présence qui cautionne par exemple). Les plus lisibles concernent l’apologie directe d’un groupe connu, sa présentation sous un jour à la fois positif et non dangereux. L’impact prévisible relèvera principalement de la notoriété et crédibilité de l’auteur du propos. Certaines présentations des groupes, apparemment distanciées, insistent sur une originalité, un caractère farfelu, mais en fin de compte sympathique et anodin.

Un autre thème relève de la fascination pour la puissance et l’influence de groupes capables de mobiliser des milliers d’adeptes. Dans le même ordre d’idées, s’exprime un intérêt « ethnographique » pour les différences, et le souci affiché de respecter des diversités culturelles, même s’il faut pour cela ignorer les risques.

Le thème le plus largement retenu est celui de la défense des libres opinions et croyances, comme si c’était de cela qu’il était question lorsqu’il s’agit de combattre certaines dérives. Par la victimisation des accusés d’infractions et délits liés à des comportements d’emprise, on va du déni caractérisé, à la minimisation du rôle de l’emprise groupale. La revendication d’un espace religieux intouchable passe par une justification « philosophique » de certains comportements délictueux. Le registre du religieux permet à certains d’assurer, sans rire, que certains groupes serviraient de cible parce qu’ils sont « nouveaux » et « minoritaires » face à la toute puissance des religions « établies ». Ces argumentations ont un effet d’inversion du problème au détriment des victimes, de masquage de risques bien réels, et de soupçon porté sur tous ceux qui se préoccupent de prévention.

On atteint un degré supérieur lorsqu’il s’agit de disqualifier radicalement les associations de défense, les organismes de prévention, les élus, les institutions policières et judiciaires accusés de tentatives liberticides. On parle alors de chasse aux sorcières, de nouvelle inquisition, ou l’on agite le spectre du « Maccarthysme ».

Ces exemples montrent que ce ne sont pas seulement les discours et les écrits qui ont pour effet de promouvoir l’influence des groupes d’emprise, mais que des attitudes et comportements de personnages de référence ont pour effet de semer le doute, d’endormir la vigilance et de cautionner de fait des entreprises de type sectaire. On voit se multiplier des colloques affichant une neutralité de façade, ou la défense d’objectifs humanistes, et dont les organisateurs recherchent le patronage d’officiels ou de personnalités en vue. Ces participations, acceptées le plus souvent par manque d’informations, seront bien sûr exploitées dans le renforcement de l’image de groupes douteux. On peut se demander ce qui contribue à l’impact plus ou moins grand de ce travail de justification et de promotion sur l’opinion publique. Il faut prendre en compte plusieurs paramètres :

  • D’abord le prestige et le poids des personnalités concernées en terme de crédibilité.
  • Ensuite, la largeur de l’audience (presse et ouvrages spécialisés, presse généraliste, grands médias, internet, colloques, etc).
  • La sensibilisation momentanée de l’opinion au problème (dramatisation événementielle, ou banalité et lassitude).
  • La vigueur du plaidoyer, voire sa violence, l’habileté dans la formulation de contrevérités.
  • Les réactions de défense institutionnelle ou corporatiste dans certains secteurs où commence à s’exercer une vigilance à l’encontre des situations d’emprise, comme dans le large champ des formations et des psychothérapies.

Paradoxalement, l’impact le plus grave en matière de promotion du sectarisme organisé n’est pas forcément lié aux déclarations d’allégeance les plus claires par les gens les plus en vue. Peut-être provoquent-elles plus le sourire que des adhésions nombreuses. Les attaques les plus argumentées et les plus mobilisatrices n’auront qu’un faible impact si elles restent confinées dans des milieux spécialisés très minoritaires. Le danger le plus grave est peut-être celui d’une confusion, soigneusement entretenue par certains, entre le champ des croyances et celui de l’emprise sectaire.

Enfin, si l’on veut vraiment parler d’impact d’une propagande favorable aux organisations de type sectaire, il convient de distinguer :

  • ce qui relève directement du « domaine de la lutte » (apologie des groupes, déni des dommages, discrédit de la prévention).
  • ce qui relève d’une complaisance culturelle envers ce qui fait souvent le terreau de l’emprise : irrationalité élevée au rang de dogme, communautarisme, idolâtrie des vedettes, promotion de pseudo thérapies et rejet des connaissances scientifiques, fascination pour des expériences de paroxysme, etc. Mais ce qui relève de ces tendances culturelles contemporaines dépasse ici notre sujet.

Grande variété des motivations

Dans ce domaine, on ne peut formuler que des hypothèses. On trouve mélangées une méconnaissance des faits ou mécanismes, une sous estimation de l’impact, une solidarité d’appartenance ou de proximité idéologique, des options anticonformistes, une recherche d’intérêts, une cécité cognitive partagée et entretenue dans des milieux particuliers.

On peut penser que pour ceux qui bénéficient déjà d’une forte notoriété, une certaine « plus-value de surface sociale » n’est pas à négliger. Il y a dans une rencontre de « vedettes » (politiques, stars, dignitaires de groupes) un renforcement réciproque de reconnaissance et de notoriété, même et peut être surtout si la rencontre sent un peu le soufre.

La part de la provocation et de la recherche délibérée du scandale est évidente dans un plan média de sortie « littéraire ».

Dans le cas de personnalités indiscutables, apportant la caution de leur nom, on peut s’interroger sur une sous-estimation des risques et de l’impact, ou sur une surestimation de leur propre influence jugée non susceptible de contamination et de confusion dans les esprits.

Lorsqu’une œuvre universitaire montre une complaisance constante envers certaines expressions groupales violentes et le retour triomphant de l’irrationnel, on peut considérer qu’il s’agit du constat d’une réalité culturelle bien actuelle, et qu’il est salutaire de ne pas la nier. Mais on peut regretter une absence de prise en compte des effets négatifs de ces évolutions. Faut il en déduire une certaine indifférence morale entretenue au nom de la science ?

La cécité -entretenue par certains professionnels par rapport à des pratiques psychothérapiques relevant de l’emprise- pourrait correspondre à une certaine conception de la solidarité corporatiste. Le soutien inconditionnel, que semblent apporter certains responsables religieux à des groupes qui défraient régulièrement la chronique des plaintes, relève peut être de la même solidarité aveugle.

Dans le domaine de la sociologie religieuse, il semble s’agir d’une vision professionnellement déformée et restrictive du phénomène d’embrigadement groupal qui serait réduit au seul thème religieux. Cette façon de prendre la partie pour le tout traduit une erreur cognitive qui peut amener au déni ou à la minimisation des aspects dangereux de l’appartenance groupale.

Une personnalité ou un journaliste connaît personnellement un personnage sympathique et chaleureux, mis en cause par ailleurs par des victimes. Il lui sera difficile d’accepter le bien fondé de ces accusations, l’amitié lui fermera les yeux et lui dictera un plaidoyer de défense. On pourrait parler d’une cécité de proximité.

Le soutien délibéré aux groupes sectaires de toute nature, et surtout la virulence contre toute forme de défense sociale et de prévention peuvent s’expliquer dans certains cas par une attitude de révolte systématique contre l’institution, les limites, l’organisation sociale.

Plus sérieusement, ce sont des motivations éthiques et philosophiques qui peuvent dicter à certains un discours de défense des groupes mis en cause. Mais l’attachement de certains aux libertés, qui est aussi le nôtre, peut les empêcher de mesurer certains risques.

Quels enseignements tirer de cette situation ? D’abord l’évidence d’une vigilance toujours nécessaire. Tous les discours et comportements justificatifs, surtout émanant de personnages en vue, sont avidement repris et exploités par les groupes d’embrigadement. Bien que les médias se montrent globalement sensibilisés au problème du sectarisme, la présentation de certains débats met sur le même plan les fauteurs d’emprise et les victimes. Le harcèlement judiciaire opéré par les groupes en assimilant l’information et les plaintes à de la diffamation rend les actions d’information difficiles. On ne peut faire semblant d’ignorer les actions de lobbying d’où qu’elles viennent, il est utile de les connaître, de les analyser et d’en déceler ce qui les détermine.

Michel Monroy - Psychiatre membre du Conseil d'orientation de la MIVILUDES, co-auteur de « La dérive sectaire », PUF, 1999.

samedi 19 février 2005

Appel à témoignages: Secte et groupes spirituels / religieux contestés

UNIVERSITE CATHOLIQUE DE LOUVAIN
Faculté de Psychologie
Centre de psychologie de la religion

10 Place du cardinal Mercier
1348 Louvain-la-Neuve - Belgique
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Secte et groupes spirituels/religieux contestés: recherche universitaire

Le 1er février 2005

Bonjour à toutes et tous, Nous écrivons ce message sur ce site dans le cadre des recherches que nous menons au Centre de psychologie de la religion (Faculté de psychologie) de l’Université catholique de Louvain (Belgique).
L’objectif des recherches qui y sont menées est de mettre en évidence les mécanismes psychologiques individuels (cognitifs, affectifs, éducationnels) et situationnels qui sont associés à la religion et à la spiritualité.
Nous venons de mener des études sur le vécu psychologique des membres de groupes spirituels socialement contestés ou de nouveaux mouvements religieux, dont certains sont appelés « sectes ».

Nous nous penchons à présent sur le vécu des personnes qui ont fréquenté ce type de groupes, mais qui n’en font plus partie actuellement. A travers des entretiens de recherche structurés nous espérons comprendre les effets positifs, négatifs ou absents - du passage dans un tel groupe sur le vécu psychologique actuel de la personne, que ce vécu soit serein ou fragile. Si vous êtes personnellement concerné par notre demande et que vous souhaitez parler de votre expérience, nous serions extrêmement heureux de vous accueillir pour un entretien de recherche. Si vous ne l'êtes pas personnellement mais connaissez quelqu'un qui pourrait l'être, vous pouvez lui transmettre cette information ou nous mettre en contact avec lui. Notons qu’au-delà des informations précieuses que ces entretiens nous apporteront, nous osons penser qu’ils seront aussi pour les participants l’occasion de parler de leur expérience de façon stimulante.

Un seul critère restrictif est d’habiter en Belgique; nous n’avons malheureusement pas les moyens financiers de nous rendre en France. Pour tout renseignement, n'hésitez pas à nous contacter:
Coralie Buxant au 010/47 93 18 ou
___________________________________________

Contactez Coralie Buxant --- PhD student Centre for psychology of religion Psychology Dept Catholic University of Louvain Pl. du Cardinal Mercier 10, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgium Tel.: +32 (0)10 47 93 18 Fax: +32 (0)10 47 37 74

lundi 7 février 2005

"Et Philippe Douste-Blazy déclara sa flamme à la psychanalyse"

Quotidien Le monde - 07 fev 05 par Cécile Prieur

" Il ne lui a fallu que quelques mots pour faire chavirer la salle. Déjà, en évoquant "la psychanalyse, née du génie de Freud"... Aussi quand Philippe Douste-Blazy a expliqué, samedi 5 février, au Forum des psys, à la Mutualité, que "le premier devoir d'une société est de reconnaître qu'il n'existe pas une seule réponse à la souffrance psychique", laquelle n'est "ni évaluable ni mesurable"(*), il a fait un triomphe. Et c'est debout, l'applaudissant à tout rompre, que le millier de psychanalystes et de professionnels de la psychologie a salué le ministre de la santé quand il leur a annoncé qu'il avait "fait retirer du site du ministère" le rapport contesté de l'Inserm sur les psychothérapies (Le Monde du 6 octobre 2OO4) et qu'ils n'en "entendraient plus parler !" ... Alors que ses prédécesseurs, Jean-François Mattei et Bernard Kouchner, avaient relégué la psychanalyse au rang des vieilleries, lui préférant une approche biologisante du fait psychique qui privilégie la chimiothérapie et les thérapies comportementales, Philippe Douste-Blazy a clairement réaffirmé toute la légitimé de cette discipline centenaire. "Je sais que vous vous êtes sentis incompris et peu entendus. J'affirme solennellement que cette page est aujourd'hui tournée" ... "

Cécile Prieur

vendredi 14 janvier 2005

Les sectes sont partout

Quotidien France Soir, par Philippe Bouvier

La Mission Interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives à caractère sectaire (MIVILUDES) a présenté hier son "Guide de l'agent public face aux dérives sectaires." En contact avec la quasi totalité de la population, l'appareil d'Etat est, en effet, une cible de choix pour les groupes sectaires.
Aussi, 20 000 exemplaires de ce document seront distribués aux fonctionnaires pour les aider à détecter et lutter contre ces formateurs ou thérapeutes autoproclamés qui ont pris le pas sur les grands mouvements comme SRCM, Moon et Krishna.

"Que ce soit en matière de santé ou d'éducation,, les mouvements sectaires épousent les politiques publiques, constate Jean-Louis Langlais, président de la MIVILUDES. Depuis qu'on a annoncé le lancement d'un plan alzheimer, on a vu ainsi toutes sortes d'associations et d'organismes de formation proposer leurs services en milieu hospitalier."

" Le marché de la formation au sein des institutions est un enjeu énorme, un magnifique marché pour les mouvements sectaires comme pour les charlatans isolés" explique Maryline Deuxdeniers, conseillère à la MIVILUDES. Cela suppose au sein des institutions des acheteurs de formations très indépendants et méticuleux. mais encore trop souvent, des affinités personnelles peuvent décider d'un contrat, quand ce ne sont pas des pressions plus directes: une formation achetée contre un voyage.

C'est ainsi, en captant les budgets de formation que le New Age s'est propagé en France au début des années 90. Et aujourd'hui, le loup est dans la bergerie, porté par la tendance à l'hédonisme, la mode du développement de soi, avec un discours d'autant plus dangereux qu'il est banalisé, amplifié par la publicité ou la téléréalité.

Malheureusement, longtemps après le passage des gourous, leurs thèses se diffusent encore dans l'appareil d'Etat. "On a d'énormes problèmes avec les juges pour enfants ou des juges aux affaires familiales" reconnaît un fonctionnaire. Il faut dire que l'Ecole Nationale de la Magistrature qui consacre chaque année une semaine de formation à la question des sectes, confie parfois à d'étranges intervenants le soin d'éclairer les futurs magistrats sur les questions de protection de l'enfance. Le résultat est inquiétant : les victimes de thérapeutes manipulateurs se retrouvent, dans certains tribunaux face à des juges tout acquis à leurs thèses.