mercredi 18 novembre 2009

Politique cultuelle du Ministère de l'Intérieur

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION CONCERNANT LA POLITIQUE CULTUELLE DU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

A. AGIR DE MANIÈRE PLUS COORDONNÉE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES DÉRIVES SECTAIRES

Une partie des crédits affectés au ministère de l'intérieur lui permet de lutter contre les dérives sectaires. A cet égard, une circulaire du Premier ministre du 27 mai 2005 ainsi qu'une circulaire du ministère de l'intérieur du 25 février 2008 ont invité les préfets, coordonnateurs de l'action de l'Etat dans le département, à s'inspirer des méthodes de travail qui ont fait la preuve de leur efficacité dans le cas des GIR (groupes d'interventions régionaux)20(*), pour constituer des groupes spécifiques sur les sectes.

L'an passé votre commission avait salué une telle démarche mais présenté deux observations :

- en premier lieu, elle avait regretté que le Gouvernement n'ait pas encore réalisé de bilan sur ces instances de lutte contre les dérives sectaires. En effet, aux questions précises qui lui avaient été adressées (ont-elles été créées dans tous les départements ? comment sont-elles composées ? à quelle fréquence se réunissent-elles ? a-t-on suffisamment de recul pour en mesurer d'ores et déjà l'efficacité ? a-t-on des exemples concrets d'interventions réussies ?), le ministère de l'intérieur avait simplement répondu qu'elles « fonctionnaient de manière satisfaisante » ;

- en second lieu, votre commission avait jugé indispensable que la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et le ministère de l'intérieur agissent en parfaite concertation dans le domaine de la lutte contre les dérives sectaires, regrettant en particulier que la MIVILUDES n'ait pas été associée à l'initiative de création des groupes spécialisés sur les sectes.

Les réponses apportées cette année par le ministère de l'intérieur aux questions qui lui ont été adressées ne sont pas de nature à dissiper toutes les inquiétudes.

Certes, sur la question des groupes de lutte contre les dérives sectaires, votre rapporteur prend acte que certains départements ont mis en place ces structures spécialisées associant des représentants :

- de la Police nationale (Sécurité publique et Renseignements généraux) ;

- de la Gendarmerie nationale ;

- de la Direction départementale des services fiscaux ;

- du procureur de la République ;

- de l'Education nationale ;

- de la Direction départementale de l'action sanitaire et sociale ;

- de la Direction départementale du travail et de l'emploi ;

- de la MIVILUDES.

Toutefois, votre commission formule cinq recommandations.

En premier lieu, l'approche interministérielle doit être confortée par la présence systématique d'un membre de la direction départementale « Jeunesse et Sports » car les centres de loisirs et les associations sportives sont, selon la MIVILUDES, les cibles privilégiées des sectes dans certains départements, en particulier outre-mer. On notera d'ailleurs que le Comité exécutif de pilotage opérationnel de la MIVILUDES comprend un inspecteur général de la jeunesse et des sports rattaché au secrétariat d'Etat au sport.

En second lieu, il est regrettable, comme votre rapporteur a pu le constater lors de ses déplacements, que toutes les préfectures n'aient pas mis en place de groupes spécifiques de lutte contre les dérives sectaires alors que la circulaire précitée de 2008 le préconise pourtant sans ambiguïté. On peut certes admettre que certains préfets, situés dans des départements pas ou peu touchés par le phénomène sectaire, soient réservés sur l'opportunité de réunir ces groupes de travail tous les trois mois, fréquence recommandée par la même circulaire. Toutefois, votre rapporteur juge important de créer ces groupes de travail dans tous les départements, quitte à ne les réunir que tous les six mois, et ce pour deux raisons principales : d'une part, ces groupes sont des lieux de dialogue qui permettent aux services déconcentrés de mieux se connaître, d'échanger de nombreuses informations et ainsi d'apporter une réponse adaptée en cas d'urgence ; d'autre part, il est symboliquement essentiel, alors que les pouvoirs publics sont régulièrement soupçonnés en France de minimiser le danger représenté par les dérives sectaires, que ces groupes existent et fassent connaître leurs orientations.

Par ailleurs, il est non moins primordial d'associer étroitement les associations de victimes aux actions menées par ces groupes de lutte contre les dérives sectaires. En effet, ces associations, qui d'après la MIVILUDES, jouent un rôle essentiel et possèdent une connaissance très fine des situations locales, ne peuvent aujourd'hui faire entendre leurs voix que dans le cadre du conseil départemental de prévention de la délinquance. Or, compte tenu des compétences, particulièrement larges, de ces conseils (aide aux victimes, à la lutte contre la drogue, aux violences faites aux femmes et, précisément, aux dérives sectaires), le volet « dérives sectaire » est souvent négligé, d'après les informations recueillies par votre rapporteur. La logique de spécificité qui a présidé à la création des groupes de lutte contre les dérives sectaires devrait normalement s'appliquer également aux associations. Si on peut comprendre l'objection du ministère de l'intérieur qui souhaite préserver le caractère opérationnel de ces groupes de travail, il pourrait être opportun, comme certains préfets l'ont décidé, de prévoir systématiquement l'organisation de la réunion en deux temps : un premier temps ouvert au monde associatif, un second entre les services de l'Etat.

En outre, il est très important que les actions menées par ces groupes soient diffusées tant auprès des collectivités territoriales que des acteurs de la vie économique afin de les sensibiliser ; en effet, la commune est acteur majeur de prévention de la délinquance ; le département, en tant que chef de file de l'action sociale, participe aux politiques de prévention de la délinquance à travers l'éducation et l'accompagnement social, en particulier des jeunes ; quant à la région, elle est compétente en matière de formation professionnelle, secteur de plus en plus investi par les mouvements à caractère sectaire21(*). S'agissant des acteurs économiques, il pourrait être opportun, selon les sujets traités, d'informer les entreprises et les représentants des salariés des actions engagées.

Enfin, votre commission souligne, cette année encore, que la coordination entre la MIVILUDES et le ministère de l'intérieur mérite d'être améliorée. Certes, comme l'a déclaré le Gouvernement à l'occasion d'une question orale au Sénat22(*), le ministère de l'intérieur ne joue pas le même rôle que la MIVILUDES dans la lutte contre les dérives sectaires : le premier vise à identifier les auteurs des infractions pénales qui caractérisent les dérives sectaires, à en interpeller les auteurs, à les déférer à l'autorité judiciaire afin, le cas échéant, de les faire condamner, tandis que la MIVILUDES joue surtout un rôle d'étude et d'analyse. Il ne fait pourtant aucun doute pour votre rapporteur que les actions du ministère et de la mission sont complémentaires. La MIVILUDES possède une connaissance de l'organisation et des modes opératoires des mouvements à caractère sectaire qui ne peut qu'être utile à l'action menée par le ministère.

C'est pourquoi votre rapporteur juge essentiel que la MIVILUDES soit systématiquement conviée aux réunions des groupes départementaux visés plus haut et que le ministère de l'intérieur complète sa circulaire en ce sens. Comme l'indique sa lettre bimestrielle de juin 200923(*), la MIVILUDES « s'est fixé pour objectif de répondre à toute sollicitation exprimée par les services de l'État dans ce cadre ». Elle indique avoir été conviée, depuis le 1er janvier 2009, à douze réunions, dans les départements suivants : Gers (23 janvier) ; Haute-Loire (3 mars) ; Haute-Corse (12 mars) ; Corse-du-Sud (13 mars) ; Alpes-de-Haute-Provence (18 mars) ; Nièvre et Vosges (30 mars) ; Vendée (31 mars) ; Isère (20 avril) ; Seine-et-Marne (6 mai) ; Loiret (29 mai) et Marne (25 juin). Or, il est hautement probable que de nombreuses réunions se sont tenues dans d'autres départements et qu'en conséquence la MIVILUDES n'en a pas été informée.

De même, en réponse au questionnaire de votre rapporteur, le ministère a indiqué que la circulaire du 23 janvier 2009 indiquant le cadre général d'action du ministère de l'intérieur de l'outre-mer et des collectivités locales pour l'année 2009 en matière de lutte contre les dérives sectaires, puis celle du 15 mai 2009 précisant les conditions pratiques de réalisation de ces orientations, avaient, « bien entendu (...) été prises en lien avec la MIVILUDES. ». Interrogée par votre rapporteur, cette dernière a pourtant déclaré ne pas avoir été consultée sur les circulaires visées.

Enfin, lors de son audition par votre rapporteur, M. Georges Fenech, président de la MIVILUDES, a souligné que cette dernière n'était plus, depuis fin 2008, destinataire des notes et documents des services de renseignement du ministère de l'intérieur alors que lors des déplacements de ses conseillers dans les cellules départementales de lutte contre les dérives sectaires, « il avait été pourtant constaté que des études précises avaient été diligentées sur le sujet ». Or, aux termes de l'article 2 du décret n° 2002-1392 du 28 novembre 2002 instituant la MIVILUDES, cette dernière est « destinataire par les différentes administrations concernées des informations que celles-ci détiennent sur les mouvements à caractère sectaire (...), sauf lorsque la communication de ces informations est de nature à porter atteinte à un secret protégé par la loi. »

Selon M. Fenech, plusieurs courriers adressés au ministère de l'intérieur pour demander la communication de ces documents entre mars et mai 2009 sont demeurés lettres mortes.

Si votre rapporteur note que cette situation est peut-être liée à l'importante réforme des services de renseignements du Ministère de l'Intérieur, achevée fin 2008, il reste que ce défaut de communication nuit à l'efficacité et à la réactivité de la Mission et ne saurait se prolonger.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission ne peut que réitérer sa recommandation de voir s'améliorer la coordination entre les différents services de l'Etat en charge de la lutte contre les dérives sectaires.

Votre rapporteur espère que les difficultés présentées plus haut ne sont pas liées à une insuffisante prise en compte du phénomène sectaire par le ministère de l'intérieur. En effet, selon certaines informations, la disparition des Renseignements Généraux, en juillet 2008, aurait conduit à une perte de connaissance des questions relatives aux sectes. Les policiers spécialisés dans ce domaine (une cinquantaine en province et six à Paris) auraient été affectés, depuis leur intégration au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), à d'autres missions de renseignement.

* 20 Les GIR sont des pôles pluridisciplinaires chargés d'agir contre la délinquance, au plan pénal mais également fiscal, douanier ou administratif. Ils sont composés de policiers (sécurité publique, police judiciaire, renseignements généraux), de gendarmes, de fonctionnaires des impôts et de fonctionnaires des douanes.

* 21 Voir l'audition par la commission des lois, le 9 avril 2008, de M. Jean-Michel Roulet, alors Président de la MIVILUDES ; compte-rendu disponible sur Internet :

http://www.senat.fr/bulletin/20080407/lois.html#toc2

* 22 Question orale sans débat n° 0261S de M. Gérard Delfau, publiée dans le JO Sénat du 29 mai 2008. La question et la réponse sont disponibles sur Internet :

http://www.senat.fr/questions/base/2008/qSEQ08050261S.html

* 23 Document accessible sur Internet http://www.miviludes.gouv.fr

En séance publique au Sénat le 18 novembre 2009

En réponse à ces questions, M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, a indiqué que :

- une circulaire du 9 septembre 2009 avait rappelé l'obligation de prévoir la présence d'un « référent secte » au sein, d'une part, de la Sous-direction de l'information générale de la sécurité publique (SDIG), d'autre part, de toutes les directions départementales de la sécurité publique ;


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