«Libération» a eu accès au document ministériel qui s’alarme de l’entrisme sectaire dans les instances internationales.
La bagarre gagne en férocité entre les sectes et leur principal détracteur en France, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Mardi matin, cet observatoire dépendant du Premier ministre rendra public son rapport annuel dans un contexte tendu. Le document de 199 pages, que Libération a consulté dans son intégralité (lire page suivante), révèle comment certaines sectes pénètrent les instances internationales sous couvert d’ONG défendant les libertés religieuses. Ces dernières visent à légitimer les sectes comme de simples «minorités de conviction», ni plus ni moins. A leur tableau de chasse : l’ONU et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Un service de l’OSCE se montrerait particulièrement perméable à cette stratégie, selon les auteurs du rapport : le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme.
Inspecteurs. Ironie de ces stratégies d’entrisme : la Miviludes vient de subir les conséquences de ce lobbying, de manière surprenante, au moment même où elle s’apprête à le dénoncer dans son rapport publié demain. Mardi dernier, trois inspecteurs de ce bureau de l’OSCE se sont en effet présentés au siège de la Miviludes, rue de Bellechasse à Paris. Motif de leur visite : auditer cette émanation des pouvoirs publics français pour vérifier qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de l’homme et à la liberté religieuse. «Un comble», selon un fonctionnaire habitué à travailler avec les experts de la mission de lutte contre les sectes. Interrogé sur cet épisode, le président de la Miviludes, Georges Fenech, n’a pas souhaité le commenter. Mais, dans son entourage, on souligne le caractère «désagréable» d’une telle initiative. Elle s’interprète comme une victoire pour les mouvements sectaires, et en particulier pour l’Eglise de scientologie. Au mois de mars, dans la dernière livraison de son périodique promotionnel dirigé par Danièle Gounord, l’Eglise de scientologie en appelait explicitement à l’OSCE pour qu’elle «surveille étroitement les activités de la Miviludes et de son nouveau président, afin de détecter toute violation des principes de liberté de religion».(Ethique & Liberté, numéro 40, page 4).
Cellule. Au nombre des ONG suspectées de relayer ce lobbying des scientologues à l’échelle internationale, la Miviludes distingue surtout The Institute on Religion and Public Policy (IRPP) et la Coordination des associations et particuliers pour la liberté de conscience (CAP LC). Selon le rapport, cette dernière, fondée en France en 2004, a défendu devant les instances internationales des requêtes soumises par «l’avocat américain de l’Eglise de scientologie».
Ces tensions entre la Miviludes et les sectes redoublent depuis quelques mois, comme en écho aux objectifs fixés par Georges Fenech. Interrogé par Libération, celui-ci concède : «La Miviludes n’a pas d’équivalent en Europe. Mais je m’active beaucoup en ce moment pour qu’un vaste programme sur les dérives sectaires soit lancé à l’échelle de l’Union. Il pourrait être abrité par l’Agence européenne des droits fondamentaux.» A l’échelle nationale, l’ancien juge d’instruction se félicite qu’en France, «on est passé de la phase de dénonciation à la phase d’action». A Matignon, dans les prochains jours le Premier ministre, François Fillon, rendra un arbitrage au sujet de la création d’une cellule d’assistance judiciaire contre les sectes. Composée de chercheurs spécialisés, elle serait mandatée pour épauler policiers et magistrats travaillant sur des dossiers dans lesquels des mouvements sectaires apparaissent. Si François Fillon valide le projet, le lobbying antisecte de la Miviludes enregistrera un premier succès.
Lire le rapport annuel de la Miviludes, publié mardi (version pdf)
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