jeudi 11 septembre 2008

Sectes : dénonciation calomnieuse ou non ?

Comme s'il le fallait encore démontrer la complexité de la protection de l'Enfant face aux manipulations sectaires et instrumantalisations de l'appareil judiciaire:

Deux articles sur le procés ubuesque pour dénonciation calomnieuse à l'encontre d'un universitaire qui a voulu protéger des enfants de l'influence d'une pseudo thérapie considérée comme sectaire par les institutions en charge.

Correspondance de presse dans les tribunaux bretons par Hervé Chambonnière pour le Télégramme de Brest Jean-Yves MANAC'H pour le quotidien Ouest France, paru le 11 septembre 2008.

Sectes : dénonciation calomnieuse ou non ?
Le professeur de psychopathologie avait attiré l'attention du procureur sur certaines techniques lui paraissant dangereuses pour les enfants.

Houssine Jobeir, 53 ans, maître de conférence à l'Université de Bretagne occidentale à Brest, où il enseigne la psychopathologie, et par ailleurs psychologue clinicien, comparaissait jeudi devant le tribunal correctionnel, devant lequel il était poursuivi pour dénonciation calomnieuse par un médecin psychiatre et une de ses consoeurs spécialisée dans la psychologie du développement.

L'origine de cette affaire, qui aura fait l'objet d'une instruction de plus de trois ans, remonte à 2004. Un médecin récemment recruté dans un centre de rééducation fonctionnelle des Côtes-d'Armor qui accueille de jeunes adultes handicapés, est surpris par certaines techniques utilisées par certains soignants, en particulier la « communication facilitée » censée permettre à des personnes n'ayant pas même la parole de s'exprimer. Il apprend que certains praticiens prétendent faire s'exprimer ainsi des embryons, des foetus et même des personnes décédées.

Conscience et éthique

Il s'en ouvre au téléphone à Houssine Jobeir, qui lui conseille de dénoncer ces pratiques auprès des autorités. L'ordre national des médecins est alerté, la Miviludes (mission interministérielle de vigilance dans la lutte contre les dérives sectaires) et d'autres associations. Aucune réponse. Il décide alors de recontacter M. Jobeir, qui accepte de l'accompagner dans sa démarche et se documente sur ces pratiques et sur l'emprise de certaines sectes, en particulier Ivi (pour Invitation à la vie, une secte guérisseuse et pseudo-catholique qui prétend soigner grâce à la prière).
Houssine Jobeir finit par écrire au procureur de la République de Quimper pour l'alerter sur ces dérives et ces pratiques qui lui paraissent « dangereuses pour mes concitoyens et en particulier les enfants. » Ce que confirme le médecin des Côtes-d'Armor : « Il a agi pour des raisons de conscience et d'éthique. Comme moi, qui avais été le témoin des ravages de cette méthode sur les enfants. »

« Il n'a fait que son devoir »

Des méthodes relevant du charlatanisme, a-t-il même déclaré plus tard lors d'un colloque organisé à l'UBO. À l'audience, Le Dr Jobeir se défend d'avoir affirmé à un quelconque moment que les deux plaignants faisaient ou non partie d'une secte. « Je n'ai pas dénoncé x ou y mais des pratiques qui me paraissaient dangereuses. »
Il admet qu'il reprochait au psychiatre de profiter de ses fonctions de dirigeant d'un centre d'étude, d'information et de recherche sur l'autisme pour diffuser auprès d'un public non averti une fiche technique sur cette technique et d'avoir introduit, avec l'aide de l'autre plaignante les « lieux d'arrêt d'agir », qui constituent selon lui « Un état de faiblesse de personnes vulnérables. »
Pour les avocats des parties civiles comme pour le ministère public, l'infraction est caractérisée. Le procureur requiert à l'encontre du Dr Jobeir une amende de 10 000 € assortie pour moitié ou les deux tiers, du sursis. Pour l'avocat de la défense, qui estime « choquant qu'il n'ait jamais bénéficié du doute », le Dr Jobeir n'a accompli que son devoir de citoyen.

Le délibéré sera rendu le jeudi 30 octobre prochain.


Jean-Yves Manac'h pour Ouest France
Des professeurs de l’UBO qui se jettent des accusations au visage, une secte guérisseuse, des pratiques charlatanesques... Le tribunal correctionnel de Quimper jugeait, hier, une ubuesque affaire de dénonciation calomnieuse.
C’est une lettre adressée au procureur de la République de Quimper et aux directeurs de la Ddass et de la Santé publique qui a mis le feu aux poudres, en mai 2004. Un professeur du département de psychologie de l’UBO y dénonce l’implantation de la « secte guérisseuse » Invitation à la vie intense (IVI) au sein de l’université brestoise et dans différents établissements médicaux ou hospitaliers du Finistère. Dans cette lettre, pêle-mêle, sont aussi signalées une « pratique douteuse et dangereuse », la Communication facilitée, et un projet thérapeutique décrié, « Lieu d’agir » ou « Arrêt d’agir ».
Gendarmes RG et DST !
L’auteur du courrier va plus loin et désigne, sans les nommer, trois médecins et/ou universitaires facilement identifiables... qui finissent par apprendre l’existence du courrier. Deux d’entre eux portent plainte. Quatre ans plus tard, l’affaire arrive devant le tribunal correctionnel de Quimper. Les deux universitaires et praticiens dénoncés font-ils partie d’une quelconque secte ? Pas moins de quatre services différents ont mené chacun leur enquête : gendarmerie, inspection générale de l’Éducation nationale, RG et même la DST ! Toutes ont conclu par la négative. « Il s’agirait d’une histoire de "haine recuite", de rivalités entre universitaires », avancent deux enquêtes.

« J’ai les noms ! »

Hier, à la barre, le professeur a renouvelé ses accusations. « J’ai les noms d’une centaine de médecins, psychiatres, universitaires, dont certains travaillent encore dans des structures médicales ou hospitalières de la région brestoise, et qui appartiennent à IVI. Mais je n’ai jamais accusé ceux qui m’accusent aujourd’hui de dénonciation calomnieuse d’en faire partie !
Ce sont eux qui m’accusent à tort ! »
Tout juste le prévenu reconnaît-il des « maladresses » dans l’écriture de la lettre de dénonciation. « C’était mon devoir de citoyen et de médecin. Je l’ai fait dans le seul but de préserver la santé d’enfants déjà fragiles », assure-t-il sur le ton de la sincérité. Un autre médecin a signalé les mêmes dérives, dans les Côtes-d’Armor. « Mais lui n’a pas été poursuivi », fait observer M e Coroller-Bequet, l’avocat du prévenu. Le médecin en question, lui, n’a dénoncé personne en particulier.
Spiritisme et quartier de haute sécurité...
« Les faits de dénonciation calomnieuse sont incontestables. Le délit est très clairement constitué », martèlent M e s Fillion et Omez, les avocats des deux universitaires-praticiens. Le ministère public acquiesce. Et requiert 10.000 € d’amende, dont la moitié ou les deux-tiers avec sursis. L’avocat du prévenu fait une tout autre lecture de la lettre attaquée. « Mon client n’a jamais accusé ses deux collègues d’appartenir à IVI, mais d’avoir apporté leur soutien aux deux autres pratiques décriées. L’une n’est, ni plus ni moins, qu’une sorte de spiritisme qui tend à faire parler des enfants lourdement handicapés, privés de l’usage de la parole, des fœtus ou même des morts ! L’autre a été dénoncée par l’ONU comme étant comparable au traitement enduré par un détenu en quartier de haute sécurité ! Mon client n’a fait que son devoir ! »
Délibéré le 30 octobre.

Hervé Chambonnière pour le Télégramme.com

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