Parents & enfants / Société
Violences, abus, racisme:
la loi du silence des écoles Steiner-Waldorf
Laure Dasinieres — 4 janvier 2021 à 8h00
Parce qu'il faudrait laisser le «karma» des enfants s'accomplir, les enseignants des écoles Steiner-Waldorf prôneraient le laissez-faire entre les élèves.
Montessori, Freinet, Decroly, Steiner… les pédagogies dites «alternatives» séduisent de plus en plus de parents soucieux d'offrir à leurs enfants une éducation qu'ils espèrent plus adaptée à leurs besoins. Elle y est, en effet, supposée plus personnalisée et créativeque celle proposée dans les écoles publiques républicaines.
Parmi ces pédagogies «nouvelles», celle des écoles Steiner-Waldorf attire tout particulièrement l'attention du fait de la dimension spirituelle plus ou moins avouée tenant au profil de son créateur, Rudolf Steiner, également fondateur de l'anthroposophie.
La France compte aujourd'hui une vingtaine d'écoles de ce type dont certaines sont sous contrat avec l'État. En apparence, il s'agit de jardins d'enfants et d'écoles prompts à séduire des parents à la fibre artistique et écologique. «Lorsque l'on a visité la première fois l'école Trille des Bois à Ottawa [au Canada, ndlr], ça a été un enchantement, raconte Bettina, qui lui a confié son petit Max de septembre à décembre 2018. C'était ce que l'on cherchait: une école francophone, de bonne réputation, juste à côté de chez nous. À première vue, l'école est un cocon pastel, tout mignon, avec des décors faits à la main. Comme les gens sont sympas, on ne pose pas de questions. À aucun moment la pédagogie Steiner n'est évoquée.»
Marc Giroud, qui a été éducateur en école Steiner-Waldorf durant les années 1980, explique: «Quand on fait la formation d'éducateur Steiner, on n'étudie qu'un seul auteur, Steiner. C'est un dogme pédagogique. Vous êtes là pour accomplir un dessein eschatologique, ce qui justifie de mentir ou de taire. On apprend à cacher cette vocation aux personnes qui nous confient leur enfant. C'est pour cela qu'il y a des discours de façade.»
«Ce qui peut se régler à l'école se règle à l'école»
En 2018-2019, Marianne a vécu avec son fils de 2 ans et demi dans un écovillage du sud de la France où l'école maternelle est un jardin d'enfants Steiner sous contrat avec l'État. «J'avais été charmée par la déco tout en bois… J'ai réalisé ensuite en cherchant sur internet que c'est un copier-coller de toutes les écoles Steiner à travers le monde.»
Si la décoration intérieure est un micro signe d'appel qui peut sembler insignifiant, Marianne réalise rapidement que quelque chose ne tourne pas rond et que les enfants ne sont pas traités comme dans une école républicaine. «Les rituels du matin sont pris très au sérieux, il y a une grande solennité.»
«S'ils n'avaient pas faim, la cuisinière leur apprenait que jeûner est bon pour leur corps énergétique…»
Marianne, parent d'élève
Ce sont les repas donnés à la cantine qui ont d'abord commencé à l'inquiéter: «J'étais au courant du fait qu'il s'agissait d'une alimentation végétarienne. Pas qu'elle excluait aussi le lait et le fromage. Un soir, mon fils m'a dit qu'il ne devait plus consommer de laitages. Il était inquiet, j'ai dû le rassurer. Et puis, la cantine ne proposait que très rarement des desserts –c'est important les petites douceurs pour les enfants. On leur disait que c'était superflu, qu'ils avaient tout ce qu'il faut dans leur corps. Idem s'ils n'avaient simplement pas faim: la cuisinière leur apprenait que jeûner est bon pour leur corps énergétique… Parfois, lorsque je demandais à mon fils ce qu'il avait mangé, il me répondait “des biscottes”.» Marianne signale également que son fils était l'un des seuls enfants à avoir été vacciné et que c'était assez mal vu.
De son côté, Bettina constate rapidement que son garçon change de comportement: «Le premier jour, il était enthousiaste à l'idée d'aller à l'école. Il a très vite déchanté. Il s'est mis à pleurer le matin en disant qu'il ne voulait plus y aller.» Les maîtresses avaient dit à Bettina et son mari que «ce qui peut se régler à l'école se règle à l'école» et qu'ils ne seraient pas prévenus de tous les faits et gestes de leur enfant. «En réalité, les enseignants cultivent l'idée de jardin secret chez les enfants et leur apprennent à ne pas partager avec leurs parents», témoigne Bettina.
«Les éducateurs laissent faire les violences entre enfants.»
Marc Giroud, ex-éducateur en école Steiner-Waldorf
Cela fait écho à l'expérience de Marianne: «Un jour, mon fils m'a dit: “Maman, je dois arrêter de t'aimer pour m'occuper de moi tout seul.” Vous imaginez le choc pour la maman d'un enfant d'à peine 3 ans! Le jour de son anniversaire, la maîtresse lui a donné un petit lutin. Lorsqu'il est rentré à la maison, mon fils était renfermé, il serrait très fort le lutin. Il l'a placé dans un endroit stratégique de la pièce et m'a dit: “Maman, c'est mon réparateur de bobos.” Il m'a expliqué que désormais, c'était à lui qu'il devait confier ses peines et non plus à moi, son père ou à ses grands-parents… Autant vous dire que j'ai fait disparaître le lutin et que j'ai expliqué à mon fils que c'est à nous, les grands lutins, de réparer les bobos de nos enfants.»
Absence d'intervention et karma
Ce qui est passé sous silence, ce qui ne doit pas sortir de l'école, c'est sans doute en partie la violence entre les enfants et l'absence d'intervention des enseignants. Cela s'inscrit parfaitement dans le dessein poursuivi par les éducateurs: «Les anthroposophes croient en la réincarnation, explique Marc Giroud. Pour eux, les enfants ont choisi leurs parents, leur école et ce qui leur arrive. C'est ce qu'ils ont voulu en compensation de leur karma –le karma étant entendu comme le paiement d'actes mauvais commis dans une vie précédente. De fait, les éducateurs laissent faire les violences entre enfants. Une intervention inappropriée ferait reculer l'enfant dans son karma et il ne pourrait pas compenser ensuite.»
«On laisse délibérément les enfants sans surveillance. Il faut laisser le karma s'accomplir et laisser les âmes s'affronter.»
Grégoire Perra, ex-anthroposophe
Grégoire Perra, ex-anthroposophe et ex-professeur en école Steiner-Waldorf, confirme: «On laisse délibérément les enfants sans surveillance. Il faut laisser le karma s'accomplir et laisser les âmes s'affronter.» Et d'ajouter: «Les enfants s'ennuient de cette pédagogie qui est une messe permanente, certains s'habituent mais d'autres pètent les plombs.»
Progressivement, Bettina arrive à faire parler son fils. «Un jour, à la maison, Max m'a dit “Un copain m'a traité de «fucking idiot»”. Et puis, il a bien voulu nous dire que ce garçon, qui avait 6 ans et avait des problèmes comportementaux, lui tapait dessus et le malmenait. Sa langue s'est déliée progressivement. Ce grand le griffait, lui donnait des coups de pied dans le ventre et le visage.» Les réunions entre Bettina, son époux et la maîtresse de Max n'aboutissent à rien et Bettina ne fait que constater son inaction pour sortir l'enfant des griffes de son jeune bourreau. «On nous a conseillé de faire venir un intervenant pour apprendre à Max la résilience», se souvient-elle, effarée.
«Un jour, j'ai entendu mon fils crier: il se faisait rouer de coups. La jardinière n'intervenait pas et jouait de la flûte sur la balançoire…»
Marianne, parent d'élève
Marianne témoigne d'actes similaires: «Ma fenêtre donnait sur la cour de l'école. Un jour, j'ai entendu mon fils crier: il se faisait rouer de coups. La jardinière n'intervenait pas et jouait de la flûte sur la balançoire… Mon fils m'a dit que ces violences étaient régulières… J'ai décidé de le retirer de l'école.»
Différences raciales et mauvais traitements
Grégoire Perra explique que les enfants de parents non-anthroposophes ou qui arrivent en cours de scolarité sont souvent davantage victimes de violences: «Tout est permis pour les enfants des anthroposophes.»
«Pour Steiner, il y a des races dominantes aux différentes étapes de l'humanité.»
Élisabeth Faytit, documentariste
Élisabeth Feytit, documentariste, podcasteuse indépendante et coautrice avec Grégoire Perra de Une vie en anthroposophie–La face cachée des écoles Steiner-Waldorf aux éditions La Route de la Soie, ajoute: «De nombreux témoignages de parents indiquent que certains enfants sont moins bien traités que d'autres, notamment s'ils sont roux ou non blancs.» Cette différence de traitement serait intrinsèque à l'anthroposophie: «L'anthroposophie est issue notamment du théosophisme de Mme Blavatsky qui prône dès le départ les différences raciales. Pour Steiner, il y a des races dominantes aux différentes étapes de l'humanité. Selon lui, aujourd'hui, c'est la race aryenne qui domine. C'est comme si les autres avaient loupé le coche. Il y a des enfants non blancs dans les écoles Steiner-Waldorf, mais on les considère comme moins évolués que les Blancs.»
«Il y avait des enfants de 3-4 ans qui mettaient des coups de poing à un enfant par terre. Je me souviens de petits visages d'enfants tordus d'agressivité.»
Bettina, parent d'élève
Grégoire Perra se souvient: «Les enfants de mon ex-compagne sont afro-colombiens. Ils ont été victimes de harcèlement durant toute leur scolarité sans aucune réaction des professeurs. Le plus jeune recevait régulièrement des insultes du type “Tu as la peau couleur caca” de la part de ses camarades. Il est d'usage que les professeurs remettent aux élèves une carte postale avec un dessin censé représenter leur âme. La fille de mon ex-compagne s'est vu offrir l'image d'une petite fille blanche et blonde. Cela a été très blessant pour elle.» Il commente:«C'est un racisme qui n'a même pas conscience de lui-même. Pour eux, c'est normal d'agir ainsi. Ce sont des conséquences objectives de leurs croyances.»
«Je n'ai jamais vu des enfants se battre comme ça»
Bettina a pu constater une violence généralisée dans la cour de récréation: «C'était la cour des Miracles, je n'ai jamais vu des enfants se battre comme ça! Il y avait des enfants de 3-4 ans qui mettaient des coups de poing à un enfant par terre. Je me souviens de petits visages d'enfants tordus d'agressivité. Je n'ai jamais vu un adulte intervenir. Il m'est arrivé d'essayer de les arrêter: les enfants étaient surpris, comme si c'était normal. L'autorité d'un adulte ne les émeut pas. Il y a trois “camps”: les cogneurs, les cognés et les petits assis seuls dans un coin à pleurer. C'était vraiment une ambiance malsaine.»
L'apogée a été le jour de la fête de Noël à l'école: «C'est le seul moment où les parents sont invités à venir. Max s'est mis à se bagarrer comme un chiffonnier avec ses copains au milieu de la classe. C'était horrible. Je me suis levée, les autres regardaient ça d'un air absent. Les enfants m'ont dit “mais on joue au dragon, on joue au monstre”. Un père a dit “C'est comme ça, les garçons.” J'étais offusquée. La maîtresse a mis sa main sur mon épaule et a dit «Laissez-les. Regardez comme il joue bien Max, maintenant. C'est un vrai garçon.» C'est la dernière fois qu'il a mis les pieds dans cette école. Je lui ai demandé s'il voulait dire au revoir à ses copains ou à sa maîtresse, il a refusé…»
Marianne analyse: «Ils ont une conception de la justice complètement différente de la nôtre. Il n'y a aucune limite et pourtant, quoiqu'on en dise, les enfants sont demandeurs de cadres et recherchent l'approbation ou la désapprobation des adultes. Or, ils sont laissés à eux-mêmes.»
Rappelons que tous les établissements (qu'ils soient sous contrat ou hors contrat) peuvent faire l'objet d'inspections pédagogiques régulières par des inspecteurs de l'Éducation nationale. Or, malgré les alertes, le système perdure. L'école Steiner que nous avons contactée pour en savoir plus sur sa pédagogie n'a pas donné suite à nos sollicitations.